UNE PRÉSENCE BIEN VIVANTE
En intégrant la théorie psychanalytique moderne aux découvertes récentes en pédopsychiatrie ainsi que dans le domaine du développement du nourrisson et du jeune enfant, Anne Alvarez éclaire d'une manière nouvelle notre compréhension de l'autisme, de la psychose et des troubles psychiques graves de l'enfant et de l'adolescent. Au coeur du livre se situe le récit émouvant de la longue lutte d'un enfant autiste, oscillant entre santé mentale et folie. Avec un talent naturel pour raconter une histoire dans laquelle le lecteur se sent profondément engagé, l'auteur décrit le voyage entrepris en compagnie de son jeune patient et leur rude parcours vers la guérison.
"A mon avis, ce livre est profondément émouvant et particulièrement sage, dans un domaine où il est difficile d'avoir des certitudes." Oliver Sacks
"L'étendue des connaissances de l'auteur et la richesse de sa pensée forment la trame d'Une Présence Bien Vivante et font de ce livre plus qu'une étude destinée aux seuls professionnels." Juliet Mitchell (The Times Literary Supplement)
"Un livre original et indépendant qui stimule la pensée ... Tout intervenant dans ce domaine se réjouira de sa parution." Francès Tustin
"Un ouvrage brillant dans sa conception, à l'avant-garde des recherches sur le développement infantile, des études neuro-développementales et de la psychanalyse d'enfants." Professeur James S. Grotstein, Psychiatrie Clinique, Faculté de Médecine, University College of Los Angeles
" ... il est particulièrement important de prendre connaissance de l'ouvrage d'Anne Alvarez. Il est le fruit de longues années d'expérience ... et d'une pratique de la formation de psychothérapeute d'enfants dans le centre londonien prestigieux auquel elle appartient, la Tavistock Clinic." Professeur Didier Houzel, Psychiatrie de l'Enfant et de l'Adolescent, Faculté de Médecine de Caen
L'auteur : Anne Alvarez est psychothérapeute d'enfants à la Tavistock Clinic à Londres où elle co-anime l'Atelier sur l'Autisme. Elle est aussi Professeur Associé au Département de Neuropsychiatrie Infantile de l'Université de Turin.
Traduction : David Alcorn
Préface (édition française) : Professeur Didier Houzel
288 pages format 16 x 24 cm 21,65 Euros
Professeur Didier Houzel
A une heure où la psychanalyse est volontiers mise en accusation lorsqu'il s'agit de traiter les troubles les plus sévères et les plus précoces du développement psychique chez l'enfant, il est particulièrement important que le lecteur francophone puisse prendre connaissance de l'ouvrage d'Anne Alvarez. Il est le fruit de longues années d'expérience du traitement de tels enfants, d'une réflexion approfondie sur la théorie et sur la technique psychanalytique et d'une pratique de la formation de psychothérapeute d'enfants dans le centre londonien prestigieux auquel elle appartient, la Tavistock Clinic. Il n'est pas faux, et les associations de parents d'enfants autistes n'ont pas manqué de le dénoncer avec vigueur, que la psychanalyse a parfois servi comme base idéologique plutôt que scientifique pour rendre compte de ces troubles du développement. Il s'est agi souvent de plaquer des explications qui n'aidaient en aucune façon au traitement des enfants. Ici rien de tel, Anne Alvarez est une thérapeute que rien ne semble rebuter quand il s'agit d'aider un être humain en panne de développement à trouver ou à retrouver les voies de la communication et de la vie psychique. Robbie, le patient autiste dont elle rapporte le traitement, avait 7 ans lorsque sa cure a commencé, il en avait 30 lorsque le livre fut achevé et la cure se poursuivait toujours. Ce long traitement psychanalytique lui avait permis de faire des progrès spectaculaires, aussi bien dans son développement psychique que dans son adaptation sociale.
L'auteur a emprunté le titre de son livre Live Company à Trevarthen, qui se définit lui-même comme un éthologiste. Il a insisté sur le besoin de l'enfant de trouver dans son entourage une compagnie vivante, un objet qui lui réponde activement et qui ne se contente pas de satisfaire ses besoins, un partenaire doué d'une vie psychique active et créative et pas seulement d'un savoir-faire. Anne Alvarez reprend et éclaire ce point de vue de toute son expérience de psychanalyste d'enfants et notamment d'enfants souffrant de troubles sévères du développement, autistes, psychotiques, borderline ou d'enfants ayant subi des expériences particulièrement dommageables pour leur équilibre psychique, situations traumatiques, abus sexuels. Elle souligne le rôle de réceptacle actif que le partenaire de l'enfant doit avoir, c'est à dire qu'il ne doit pas se contenter de contenir les projections de l'enfant, il doit aussi les transformer, au sens de Bion, afin de les rendre pensables. Elle y ajoute une fonction d'éveil, d'invitation à entrer dans le monde de la communication, de sollicitation active, ce qu'elle appelle la réclamation. Le psychothérapeute doit endosser ce rôle, c'est à dire ne pas laisser l'enfant errer sans fin dans un monde de répétition, de non sens et de non pensée. Il doit, chaque fois que nécessaire, réclamer la présence et l'attention de l'enfant. Il peut être comparé dans ce rôle aux mères de nouveau-nés étudiés par Klaus et Kennel qui, aussitôt après la naissance, invitent l'enfant à ouvrir les yeux et à leur donner un signe de vie physique et psychique. Elle suggère, le cas échéant, de mettre fin activement à une répétition sans fin, qu'il s'agisse de stéréotypies motrices ou de thèmes récurrents dans le discours de l'enfant. Mais c'est surtout la prise de conscience et l'élaboration du contre-transfert qui permettra au thérapeute de déjouer les pièges des conduites autistiques qui ne sont pas seulement dépourvues de sens, mais qui sont aussi destructrices de sens. A cet égard, comme l'avait souligné Frances Tustin, de telles conduites s'apparentent aux conduites addictives. Reconnaître que l'on est envahi par l'ennui, voire par la somnolence ou parfois par le désespoir, est un préalable nécessaire à l'élaboration des messages que l'enfant ne peut communiquer à son thérapeute que par le contre-transfert, au sens où l'avait défini Paula Heimann en 1950, c'est à dire la réaction psychique globale de l'analyste à son patient, réaction qui comporte des éléments défensifs de la part de l'analyste, mais aussi des projections du patient qu'il est essentiel d'identifier comme des messages inconscients et d'élaborer comme tels.
Anne Alvarez est un auteur qui croit en la vie, en sa valeur, en son sens. On a parlé du pessimisme de Freud, j'aurais envie de parler de l'optimisme d'Anne Alvarez. Il s'agit, bien sûr, d'un optimisme réfléchi, que la fréquentation des enfants les plus atteints dans leur développement psychique éloigne de toute naïveté. Il s'agit surtout de nous convaincre du fait que les expériences positives, les rencontres réussies, sont essentielles pour le développement psychique. La théorie psychanalytique, depuis Freud jusqu'à Bion, a surtout mis l'accent sur la valeur stimulante et structurante de la frustration, du manque, de l'absence, pour le développement de la pensée. L'auteur reprend l'hypothèse de Bion selon laquelle la croissance psychique dépend de la capacité de l'enfant à tolérer la frustration et à modifier la souffrance plutôt qu'à l'évacuer. Mais cette tolérance est fonction, pour une large part, des expériences heureuses qu'il aura pu avoir, expériences de non frustration, de non manque, de non absence. L'analyste doit être attentif à ne pas confronter les enfants très malades à des frustrations inélaborables, ce qui ruinerait la base de sécurité dont ils ont besoin pour fonder leur vie psychique, et notamment pour distinguer la réalité intérieure de la réalité extérieure, l'action de la fantaisie et pour s'engager sur la voie de la formation du symbole. C'est l'objet contenant, au sens de Bion, qui apporte cette base de sécurité. Le thérapeute doit être d'abord cet objet contenant, avant d'interpréter. Une des tâches que s'est donnée Anne Alvarez est d'examiner les qualités dynamiques de l'objet contenant. Elle montre, par exemple, comment l'enfant gravement carencé peut avoir besoin d'explorer ses propres états psychiques dans son objet transférentiel, elle suggère qu'une certaine perspective est nécessaire à cette exploration et qu'il faut savoir accepter, tout le temps voulu, de servir de supports aux projections des états psychiques de l'enfant, tant qu'il ne peut lui-même les tolérer. Elle décrit ce qu'elle appelle des objets réparables ou irréparables, selon qu'ils reçoivent ou non les marques de réparation venant de l'enfant. Apporter à l'enfant des expériences positives se signifie pas satisfaire ses besoins pulsionnels. La règle d'abstinence reste au coeur de la pratique analytique, même si elle doit être adaptée à l'âge des patients. L'objet dans la tradition kleinienne à laquelle appartient Anne Alvarez, n'est pas seulement, n'est pas d'abord un objet de satisfaction pulsionnelle, c'est un objet de relation et de communication, c'est l'objet qui reçoit les projections de l'enfant, qui les transforme en éléments représentables et pensables, qui apporte des réponses chargées de sens. En un mot, c'est un objet pensant. C'est donc dans la réalité psychique et non dans la réalité extérieure que l'analyste doit être source d'expériences positives pour l'enfant, l'expérience que ses messages peuvent être reçus, qu'ils sont dignes d'intérêt, qu'ils sont chargés d'une signification communicable et partageable, qu'ils sont pensables. C'est une théorie de la relation d'objet à laquelle l'auteur se réfère en permanence et qu'il contribue à développer grâce à l'éclairage que lui apporte sa pratique des cures analytiques de ces états psychiques sévères de l'enfance.
Un des grands mérites d'Anne Alvarez est d'enrichir sa pensée de tous les apports compatibles avec cette orientation. C'est ainsi qu'elle cite abondamment les travaux de T. Brazelton, de D. Stern, de C. Trevarthen. Par contre, elle s'inscrit en faux contre les approches réductrices de la psychopathologie qui méconnaissent cette dimension relationnelle fondamentale du psychisme humain. C'est surtout à propos de l'autisme infantile que des controverses se sont produites et se poursuivent encore pour savoir si la nature profonde des syndromes autistiques est à chercher dans une défaillance d'une fonction cérébrale innée ou dans une anomalie de la relation d'objet. La discussion que fait l'auteur de ces deux points de vue est exemplaire. Il est clair que toutes les recherches sont licites, du moment qu'elles sont rigoureuses, que leurs conclusions sont cohérentes avec leurs prémisses, que l'application d'une théorie ou d'une méthode de recherche respecte son domaine de validité et que des procédures de validation explicites des modèles proposés sont décrites. Qu'elles soient biologiques, cognitivistes ou psychanalytiques, les recherches sur l'autisme sont justifiées et même nécessaires tant qu'elles respectent ces critères. La vraie question est de savoir, et c'est celle là que pose et que discute Anne Alvarez, si des troubles précoces et massifs de la communication, de la socialisation et de l'imagination (les trois critères retenus par Wing et Gould en 1979 et qui servent maintenant à classer les troubles envahissants du développement 2) peuvent se comprendre par l'étude d'un cerveau isolé, ou si, par nature, ils ne doivent pas être analysés et compris au sein même de la relation de l'être humain à son entourage. Selon que l'on choisit une voie ou une autre, on aboutira à des modèles profondément différents. Par exemple, U. Frith a décrit un défaut de ce qu'elle appelle la force d'organisation cohésive centrale (central cohesive organizing force), qui empêcherait l'autiste de faire la synthèse des stimuli qu'il reçoit et, grâce à cette synthèse, de leur donner sens. A partir d'une telle description, deux voies sont possibles : la première, suivie par U. Frith, consiste à faire l'hypohèse d'un centre cérébral, d'un circuit ou d'un module pour prendre un langage localisationniste plus moderne, où serait localisée cette force d'organisation cohésive et de supposer que l'enfant autiste en serait congénitalement dépourvu ; l'autre, proposée par Anne Alvarez, est de supposer que la force d'organisation cohésive n'est pas localisable dans telle ou telle structure cérébrale, mais qu'elle est le fruit de la relation de l'enfant à son objet maternel et que, par conséquent, tout défaut en ce domaine renvoie non à un déficit inscrit, mais à une distorsion dynamique de cette relation à un objet primaire qui concentre, qui reçoit, qui contient et qui transforme les messages inconscients de l'enfant. Dans le premier modèle on se réfère à une étiologie, c'est à dire que l'on fait l'hypothèse d'une cause localisable dans l'organisme, qui serait efficiente au sens d'Aristote, c'est à dire qui serait en amont des phénomènes observés et qui leur donnerait naissance. Dans le second modèle, on renonce à une différence étiologique, on se contente si l'on peut dire, d'un modèle épistémologique appartenant à une psychologie descriptive (Anne Alvarez retrouve là une expression de Franz Brentano, le maître en philosophie de Freud), mais ce que l'on perd du côté de la causalité, on le gagne du côté du sens (des causes finales au sens d'Aristote). Je ne crois pas que l'on puisse trancher une fois pour toute le débat. Ce que je crois, c'est que les deux voies sont permises, à condition, comme je l'ai dit plus haut, que l'on respecte la rigueur spécifique de l'une et de l'autre. Je pense aussi qu'il est intéressant de remarquer que ce débat est celui là même où s'était engagé Freud à la fin du siècle dernier en optant résolument pour un modèle dynamique des troubles aphasiques et en s'opposant aux théories localisationnistes de l'époque. C'est ce choix, audacieux car largement minoritaire, qui l'a conduit vers la méthode d'exploration et de traitement des troubles névrotiques, qu'il a appelé la psychanalyse. Il est frappant de constater qu'un siècle plus tard, le même débat a lieu, animé par les mêmes passions, mais cette fois au sujet de l'autisme infantile.
Bien d'autres situations psychopathologiques sont évoqués dans ce livre (enfants borderline, enfants carencés, enfants victimes d'abus sexuels, enfants traumatisés). Aucune, si difficile en soit l'abord thérapeutique, ne semble décourager Anne Alvarez. Elle nous invite à une exploration passionnante de ces situations, munie des solides outils théoriques et techniques qu'ont forgés les psychanalystes, notamment S. Freud, M. Klein, W.R. Bion, F. Tustin et D. Meltzer. Mais elle sait aussi nous indiquer d'une manière lumineuse la parfaite compatibilité des recherches psychanalytiques avec celles qui s'inspirent d'autres méthodes, cognitivistes, éthologiques, pour peu que l'on sache, comme elle nous le montre, faire évoluer l'héritage reçu au contact des patients et relever les défis qu'ils nous lancent à travers toute la créativité d'une pensée vivante.