LES ÉCRITS DE MARTHA HARRIS ET D'ESTHER BICK
Cet ouvrage, largement illustré d'exemples cliniques, comporte des articles de Martha Harris et rassemble, pour la première fois réunis dans le même document, l'ensemble des écrits d'Esther Bick. Pour faire partager au lecteur l'immense expérience de travail et la richesse de la réflexion de ces deux célèbres psychothérapeutes d'enfants, quatre têtes de chapitres lui sont proposées : des papiers cliniques sur la psychanalyse des enfants et des adultes, des articles sur le développement de l'enfant et sa famille, des articles sur l'observation du nourrisson, et enfin des écrits sur la formation des psychothérapeutes et psychanalystes d'enfants.
"Mattie avait un esprit merveilleux. Elle pouvait aller au plus profond d'elle-même et utiliser la richesse et la facilité de son contact avec sa propre émotionnalité pour comprendre les autres. Ses étudiants ont reçu d'elle une expérience remarquable, car elle les mettait en sécurité par une attention immense, de façon à les amener à ressentir la joie, la peur, l'excitation, la beauté, l'étonnement que les bébés ressentent et par lesquels ils naissent à la pensée. L'amour et l'attirance de Mattie pour les enfants et pour la vie, sa dévotion à l'exploration psychanalytique du développement de la pensée apparaissaient de manière très fidèle dans son enseignement. Celui-ci modela toute une génération de psychothérapeutes d'enfants." Margaret Rustin, doyen des études et des formations universitaires de la Tavistock Clinic
"Esther Bick fut une thérapeute et une enseignante de talent ... Ceux qui ont travaillé en étroite collaboration avec elle, en supervision et en séminaires, savent combien elle appréhendait à un degré élevé la nature des processus psychiques et combien elle connaissait profondément la condition humaine." Dr Donald Meltzer
Sous la direction de : Meg Harris Williams Traduction : Jeanne et Jacques Pourrinet
347 pages 16 x 24 cm 27 Euros
Esther Bick
Esther Bick ne nous a laissé que quatre articles ; chacun d'entre eux est écrit avec économie et précision, et distille l'essence de ses perceptions originales et profondes. Dans l'ensemble, ils couvrent les principaux champs de ses intérêts théoriques et cliniques. Sa formation initiale qu'elle fit peu avant la seconde guerre mondiale avec Charlotte Buhler à Vienne, lui donna de solides connaissances en observation détaillée des jeunes enfants. Plus tard à Londres, au milieu des années 40, elle se forma comme psychanalyste, mais conserva un intérêt passionné pour le travail avec les enfants qui fut encouragé et enrichi par l'étroite collaboration qu'elle entretenait avec Melanie Klein. En mettant en place en 1948 la formation à la psychothérapie psychanalytique d'enfants à la Tavistock, elle imagina la méthode d'observation du nourrisson qui, depuis, a été adoptée par la plupart des formations à l'analyse d'enfant et d'adulte en Grande-Bretagne et dans de nombreux autres pays.
Dans son travail avec enfant et adulte, Esther Bick était en contact avec les états primitifs de non-intégration du patient qu'elle reliait au besoin primaire du nourrisson d'un objet qui tienne ensemble les parties de la personnalité, jusqu'à ce qu'une peau interne puisse être introjectée. Son travail clinique et ses années d'enseignement d'observation du nourrisson aboutirent à l'article de 1968 'L'Expérience de la peau dans les relations d'objet précoces', qui a éclairé les problèmes cliniques de nombreux praticiens. Bien que très puissamment influencée par Melanie Klein, elle fut néanmoins en mesure d'identifier un état de non-intégration antérieur au stade du premier clivage et idéalisation décrit par Klein. La notion de l'importance d'intérioriser une peau psychique et des défenses adoptées si elle n'est pas introjectée dans la première enfance, menèrent aussi à sa théorie de l'identification adhésive.
L'influence qu'Esther Bick a eue est immense malgré le faible nombre de ses contributions écrites, et nous gardons le regret qu'elle n'écrivit pas plus. Heureusement, elle était une enseignante inspirée et une analyste douée, si bien qu'elle a laissé un héritage considérable qui continue d'être transmis grâce au travail de ses étudiants et analysants dans de nombreux pays.
Il est particulièrement pertinent que les articles de Bick et de Harris aient été publiés ensemble. Dans plusieurs des articles de Martha Harris, celle-ci montre clairement à quel point elle fut profondément influencée par l'enseignement de Bick. De la même façon, la manière dont l'observation de bébé s'est propagée et a prospéré découle de l'admiration et du respect mutuels qu'il y avait entre ces deux femmes remarquables.
Sheila Miller Johannesburg, août 1998
Martha Harris
C'est avec grand plaisir que je réponds à l'invitation d'écrire quelques mots sur mes souvenirs d'une des personnes qui a eu la plus grande influence sur ma vie et sur ma façon de penser et de travailler : Martha Harris, ou "Mattie" comme presque tout le monde l'appelait.
Je vais commencer par le souvenir d'un jour du mois de mai 1979, il y a presque vingt ans, le jour où Mattie m'a parlé des étudiants qui allaient commencer au mois d'octobre le "cours d'observation" que j'allais hériter d'elle. Il est vrai qu'il n'y avait pas encore tellement d'étudiants en ce temps-là, une douzaine à peu près, mais Mattie n'avait pas besoin de notes pour m'en parler ; elle se rappelait non seulement de leurs noms mais aussi des informations essentielles concernant chacun d'eux. Par exemple : "Elle est une femme qui travaille très bien avec les enfants, mais elle souffre beaucoup de ne pas en avoir elle-même ; l'observation de bébé sera très pénible pour elle. Ne la place pas dans un séminaire où il n'y a que des mères."
Mattie se rappelait bien sûr aussi des études que les gens avaient déjà faites. Me parlant de quelqu'un qui avait brillamment réussi ses études à Cambridge, elle ne me dira rien de ses résultats académiques, mais seulement qu'il était très intelligent et assez compétitif, précisant simplement qu'"une telle serait un bon tuteur pour lui".
Il n'était pas facile d'imiter Mattie et j'aurais mieux fait d'essayer de trouver mon propre style de travail tout de suite. Après tout, on peut aussi bien faire un travail créatif en prenant des notes. Il y a, peut-être, des aspects de Mattie que, pendant des années, j'ai trop idéalisés.
Mattie n'était pas du tout intéressée à s'entourer de gens lui ressemblant ; elle aimait travailler avec des individus qui étaient capables de parler avec leur propre voix. "Il est difficile, écrit-elle, de laisser chacun trouver son propre style et son propre ton, dans un langage ou un cadre qui lui permette de s'exprimer de façon authentique." (p. 359).
Mattie prenait un grand plaisir à faciliter le développement authentique des patients, des étudiants et des gens avec qui elle travaillait, le même plaisir qu'elle prenait à planter et soigner les fleurs de son jardin, ou plutôt de ses jardins. Il y avait tellement de fleurs qu'on ne voyait plus le sol et Mattie avait cette théorie objectivement redoutable que si on plante beaucoup de fleurs, il n'y aura pas de place pour les mauvaises herbes. Il ne faut pas prendre cela trop littéralement, mais il n'y a pas de doute que Mattie était une grande cultivatrice et pas seulement de fleurs.
Lors d'une conférence où il parlait des différents styles de travail des analystes, Donald Meltzer disait que certains d'entre eux ressemblent à des fermiers [farmers] tandis que d'autres ressemblent à des chasseurs [hunters]. Il se considérait lui-même comme un chasseur et voyait en Mattie une fermière, ajoutant que s'il s'agissait de choisir un analyste, lui choisirait toujours un fermier ...
Je me demande s'il n'y avait pas aussi chez Mattie un côté "chasseur". Il y avait sûrement chez elle quelque chose de très aventureux, une capacité à s'engager dans de nouveaux projets et à faire face à l'hostilité que cela pouvait provoquer, sans se sentir persécutée. Je ne me rappelle pas d'avoir eu l'expérience d'une Mattie persécutée, projetant de l'angoisse chez les autres. Je pense que cela venait de la confiance énorme qu'elle avait dans ses bons objets internes. Cela ne l'empêchait pas de se fâcher : je trouve très comique l'histoire que sa fille raconte de l'avoir vue, pendant qu'elle faisait la cuisine, frapper la tête imaginaire de quelque bureaucrate du comité de direction de la Tavistock Clinic, à grands coups de cuillère en bois et de "Han, Han !" expressifs. Ceci n'est pas vraiment le comble de la persécution !
J'ai appris que le grand-père de Mattie s'appellait Mazzini Mc Clure, en l'honneur du grand révolutionnaire italien. Il semble qu'il était un homme à la hauteur de son prénom et je crois que Mattie avait aussi quelque chose en elle digne de ce prénom. Ses révolutions prenaient du temps mais elles avaient un impact considérable. Dans son article sur la 'Formation et la Philosophie de la Tavistock Clinic' (chap.19), Mattie ne donne pas, me semble-t-il, la pleine mesure des changements qu'elle opéra dans la formation des psychothérapeutes d'enfants, quand elle prit la responsabilité de ce cours. Margaret Rustin dit dans son Introduction que ces changements, rétrospectivement, "sont à vous couper le souffle" et elle décrit combien Mattie désirait rendre accessible cette approche psychanalytique du travail aux différentes professions : " ... [pour Mattie] la richesse unique de l'insight psychanalytique devait être partagée le plus possible".
En 1960, quand Mattie, prenant la suite d'Esther Bick, a hérité de la formation des psychothérapeutes d'enfants, il n'y avait que deux étudiants dans le cours. Mattie nous parle, en passant, des changements qui eurent lieu, précisant que les demandes de participation au cours augmentèrent ... Elle oublie de dire que, peu à peu, les deux premières années devinrent un cours en soi, tout à fait indépendant, ouvert aux professions les plus diverses, destiné à tous ceux qui pouvaient bénéficier d'être aidés à penser psychanalytiquement dans leur propre travail.
Il fallait voir Mattie discuter avec passion le travail d'une infirmière en néonatologie, dans un "séminaire de discussion de travail" - une de ses grandes inventions - pour se rendre compte qu'elle croyait vraiment et de tout son c'ur qu'on pouvait exporter la pensée psychanalytique dans les contextes les plus différents.
L'accès au "cours d'observation" (et non plus cours pré-clinique, comme il s'appelait quand je l'ai hérité de Mattie en 1979), n'avait pas tout à fait sa "porte ouverte" à tous mais presque : les candidats devaient déjà avoir travaillé avec des enfants, des adolescents ou avec des familles, et continuer à le faire. Ils devaient surtout être prêts à s'engager à travailler beaucoup pour le cours et pendant le cours, à s'engager par exemple dans l'effort de travaux écrits qui deviendront plus nombreux dans les années 70.
Quant à changer de profession et faire la demande pour le "cours clinique", il y avait deux années pour aider les étudiants à comprendre si leur motivation était authentique. C'était cela le processus d'auto-sélection assistée dont on parle dans l'Introduction.
L'atmosphère que Mattie créait autour d'elle est difficile à décrire. Elle avait beaucoup de patience pour les gens qui se développent lentement, soit dans leur propre travail courant, soit dans leur formation au travail clinique, si elle sentait qu'ils faisaient au mieux ce dont ils étaient capables. Il y a une phrase de Bion qu'elle paraphrasait souvent en disant que l'important n'est pas tellement de faire un effort pour diminuer nos propres inhibitions, mais plutôt de diminuer notre tendance à inhiber les autres.
Dans un portrait où sa fille, Meg Harris Williams, décrit d'une façon très vivante et touchante des aspects du caractère de sa mère, elle écrit :
"Les gens l'aimaient beaucoup parce qu'elle ne traitait jamais quelqu'un de façon condescendante et elle ne créait jamais une atmosphère d'élitisme ... Elle avait une sorte d'idéalisme, mais il ne consistait jamais dans l'idéalisation ni des personnes, ni des institutions ..." (Quaderni di Psicoterapia Infantile, n°19, 1989).
Il faut dire que Mattie n'avait pas non plus tendance à idéaliser les théories. Ainsi, en parlant de "l'idée kleinienne de la juste interprétation", elle dit :
" ...[il y a en cela] une certaine qualité d'omniscience ... Si on suit une façon différente de travailler, on ne cherche pas la juste interprétation, mais une interprétation facilitante qui aide le patient à exprimer ce qu'il sent d'une manière plus claire et de façon à lui laisser ouvert l'espace pour de nouvelles expériences ..." (Quaderni di Psicoterapia Infantile, n°19, 1989).
Mattie est probablement l'une des personnes les moins narcissiques que j'ai connues dans ma vie. Elle n'idéalisait pas, mais elle n'aimait pas non plus être idéalisée ; elle aimait partager ses valeurs avec ses collègues et il est intéressant de voir que ceux qu'elle a influencés sont très différents les uns des autres. Elle ne supportait pas l'adulation et disait, en parlant de sa propre expérience, que la seule façon de nous développer se trouve dans une relation intérieure intime avec des gens, qu'ils soient morts ou vivants, qui nous ont inspirés. Elle reconnaissait tout de suite et elle décourageait très fort l'identification projective et l'identification adhésive.
Quant à l'identification introjective avec Mattie, il s'agit d'une tâche bien difficile qui, je crois, est très centrale dans la vie de tous ceux qui l'ont connue et profondément aimée et admirée.
Gianna Polacco Williams Londres, août 1998